Finance & trading
Portefeuille financier d’entreprise, le trading risk management
Horizon, liquidité, rendement. L’entreprise n’aime pas le risque, mais elle peut l’analyser
Dans un environnement financier tourmenté, faire les bons choix d’investissement se révèle particulièrement ardu pour les entreprises soucieuses de doper les performances de leur portefeuille financier. Actifs à haut rendement ou à faible risque ? actions ou obligations ? La réponse dépendra d’une part des stratégies à court et long termes, d’autre part de l’aversion au risque a priori. Idéalement, on privilégiera des portefeuilles diversifiés mais équilibrés.
Au mois de juin dernier, les marchés financiers ont connu une période pour le moins agitée. Certaines classes d’actifs ont en effet enregistré des flux vendeurs parfois significatifs, à l’image des marchés obligataires, où “la correction a été brutale”, comme le rappelle Jean-Louis Mourier, économiste chez Aurel BGC. Il faut dire que les récents commentaires de Ben Bernanke, le Président de la Réserve fédérale américaine, au sujet d’un arrêt probable de la politique monétaire expansionniste menée depuis plusieurs années aux États-Unis, ont pris de court de nombreux investisseurs. Certains d’entre eux ont alors paniqué, provoquant un mouvement de liquidation sur la plupart des places financières, notamment dans les pays émergents.
En effet, depuis la crise financière de 2008, les marchés ont été dopés par le maintien de taux d’intérêt directeurs à des niveaux quasi nuls et des injections massives et régulières de liquidités dans l’économie. Pourtant, jusqu’à présent, certains marchés actions sont loin d’en avoir profité, étant délaissés par les investisseurs en raison de piètres performances au cours de la dernière décennie. C’est notamment le cas du marché des actions françaises, à l’image du CAC 40. À ce jour, l’indice phare de la Bourse de Paris accuse encore un repli de près de 30 % par rapport à ses plus hauts niveaux atteints en 2007, peu de temps avant le déclenchement de la crise. Pourtant, les niveaux de valorisation de l’indice parisien sont plutôt attractifs. En effet, d’après Consensus FactSet, le PER (“Price Earning Ratio”, ou ratio cours/bénéfice) du marché parisien évolue actuellement à un niveau proche de 13, inférieur à sa moyenne historique.
Bien évidemment, cet environnement est délicat à appréhender pour les entreprises, et en particulier pour les directeurs administratifs et financiers, au moment de faire leurs choix d’investissement : doivent-ils se positionner sur des instruments financiers au profil sécuritaire, affichant actuellement des rendements très faibles, ou bien au contraire investir sur des actifs plus risqués – comme les actions par exemple – pour espérer de meilleurs rendements sur le long terme ? “Les entreprises privilégient généralement une approche très prudente dans la gestion de leur portefeuille d’investissement” explique Dominique Chesneau, associé fondateur du cabinet Tresorisk Conseil.
Ainsi, selon lui, “l’heure est aujourd’hui à une gestion minimisant la prise de risque et privilégiant la liquidité, même si une recherche de rendement supérieur au taux du marché monétaire peut être considérée”. Toutefois, d’après les professionnels interrogés, en dépit du contexte boursier morose, les entreprises n’ont pas renoncé à doper la performance de leur portefeuille financier, en utilisant au besoin un savant mélange de risque et de rendement. À ce sujet, Dominique Chesneau tient à souligner que “la politique de gestion mise en place par les DAF est toujours validée préalablement par la direction générale de l’entreprise”, afin d’éviter toute spéculation hasardeuse.
Allocation d’actifs, les critères
Avant toute décision d’investissement, l’entreprise doit tout d’abord définir son horizon de placement pour savoir quelle classe d’actif privilégier. Une manière de savoir s’il est pertinent d’investir sur des actifs risqués ou bien se cantonner à des produits peu volatils. En effet, pour chacune des principales classes d’actifs (actions, obligations et produits monétaires), les spécialistes recommandent une durée de détention minimum afin d’éviter de possibles déconvenues. Les placements monétaires, par leur régularité et leur niveau élevé de sécurité, sont ainsi adaptés aux investissements réalisés dans une optique à court terme (moins de deux ans).
Au contraire, les actions et obligations, offrant historiquement des rendements plus intéressants, sont susceptibles de connaître des soubresauts de marché et d’enregistrer d’éventuelles moins-values sur une période de temps si courte. Les professionnels signalent ainsi qu’un investissement sur ces deux classes d’actifs ne peut s’envisager que sur des durées de détention relativement longues, c’est-à-dire au minimum trois ans pour les obligations et cinq ans pour les actions. En clair, si l’entreprise souhaite rémunérer ses liquidités sur quelques jours, par principe de prudence, seuls les placements monétaires doivent être envisagés ; à défaut, elle s’expose à de possibles pertes sur le capital investi. D’ailleurs, la sensibilité au risque est l’autre critère important à prendre en compte dans le choix de l’allocation d’actifs.
Pour doper la performance d’un portefeuille financier, et compte tenu du niveau actuel des taux d’intérêt, l’entreprise doit aujourd’hui prendre des risques. Le taux de refinancement de la Banque centrale européenne est en effet actuellement fixé à un plus bas historique de 0,5 % par an. En conséquence, “les placements sans risque ne rapportent presque plus rien, déplore Christian Ginolhac, président de Gaspal Gestion. Même les placements obligataires, comme les emprunts d’État à dix ans émis par l’État français, offrent une rémunération légèrement supérieure à l’inflation, c’est-à-dire environ 2 % par an”.
Bref, on est loin de rendements permettant de doubler rapidement le capital investi. Et pour atteindre cet objectif sur 10 ans par exemple, un portefeuille d’investissement doit afficher un taux de rendement actuariel d’environ 7 % par an, soit plus de trois fois la rémunération actuellement offerte par les emprunts d’État. C’est la raison pour laquelle, sur le segment obligataire, Christian Ginolhac conseille “de se positionner sur les obligations émises par les multinationales françaises”. Certes, le risque de défaut de l’émetteur n’est pas nul, mais en contrepartie, “il est possible d’obtenir un rendement supérieur de quelques pourcents à celui des emprunts d’État”, précise-t-il.
Sur les marchés obligataires, des alternatives sont également possibles pour doper la performance, notamment à travers des obligations à haut rendement dites “High Yield” émises par des États ou des sociétés mal notées par les agences de notation financières. Toutefois, dans ce cas, il ne faut pas perdre de vue que plus la rémunération offerte par ces obligations est élevée, plus la probabilité de défaut de paiement de l’émetteur est forte.
Les actions, lesquelles et quand ?
Bien évidemment, pour les entreprises peu averses au risque et disposant d’un horizon de placement à long terme, reste alors à envisager l’investissement sur les actions ; une classe d’actifs bien souvent délaissée par les investisseurs, échaudés par les krachs à répétition de ces dernières années. Pourtant, selon Christian Ginolhac, “c’est clairement aujourd’hui la classe d’actifs qui offre le plus de potentiel en termes de performance”, puisqu’elles cumulent des perspectives de plus-values avec des rendements offerts souvent bien plus attrayants que ceux des emprunts d’État français. En effet, selon La Lettre Vernimmen, au cours de l’année 2012, les entreprises du CAC 40 ont versé 32,34 milliards d’euros de dividendes en “cash”, soit un rendement de 3,5 % sur la base de la capitalisation moyenne de l’indice.
Si l’on ajoute à cela le montant des dividendes en actions et les rachats nets de titres, le CAC 40 a donc servi l’an dernier un rendement moyen de 4,4 %.
Reste ensuite à savoir si le timing est le bon pour investir. La question mérite d’être posée en raison des doutes qui subsistent sur la reprise de la croissance économique mondiale. Certes, aux États-Unis, le produit intérieur brut est reparti de l’avant depuis 2010, expliquant sans nul doute le rebond des indices boursiers, à l’instar du Dow Jones ou du Standard and Poor’s 500, évoluant actuellement à leurs plus hauts historiques.
Une situation bien éloignée du cas de la France, où le PIB stagne depuis maintenant 5 ans d’après l’Insee. D’ailleurs, malgré la progression du CAC 40 au cours du premier semestre 2013, l’indice phare de la place parisienne n’a toujours pas retrouvé ses points hauts enregistrés en 2007, à la différence des bourses américaines. Cependant, malgré des valorisations relativement attrayantes, certains spécialistes recommandent la prudence avant d’investir sur le marché des actions françaises, susceptible de pâtir du ralentissement économique des pays émergents sur lesquels repose une part croissante de l’activité des multinationales tricolores composant l’indice CAC 40. Il faut dire que depuis plusieurs mois, la croissance des principaux pays émergents s’essouffle, au point d’avoir obligé récemment le FMI à revoir à la baisse ses prévisions de croissance mondiale pour cette année. Pour faire face à cette situation, il existe toujours la possibilité de se tourner vers les PME cotées en Bourse, parfois moins dépendantes de leur activité à l’international.
D’ailleurs, depuis le début de l’année, les investisseurs ne s’y sont pas trompés, puisque l’indice CAC Mid&Small, composé exclusivement de PME, sur-performe l’indice CAC 40. Quoi qu’il en soit, selon Christian Ginolhac, “si on a un minimum d’appétence pour le risque, il ne faut pas hésiter à aller sur le marché des actions françaises, d’autant plus que la prime de risque reste encore à un niveau attractif”. D’ailleurs, dans une récente enquête publiée par la banque américaine BOA Merrill Lynch, les gérants de fonds interrogés semblent privilégier actuellement les marchés actions de la zone euro. Si tel est le cas, les principaux indices boursiers européens – comme le DAX à Francfort, le Footsie à Londres et bien évidemment le CAC 40 – devraient alors rattraper dans les mois à venir une partie de leur retard de performance vis-à-vis des marchés américains.
Le rendement actuariel de l’indice CAC 40 se situe autour de 6 % par an depuis sa date de création en 1987, ce qui correspond grosso modo à la progression des profits des entreprises sur une longue période. Mais pour bénéficier de cette performance, les investisseurs doivent être en mesure de supporter sur le court terme les éventuels soubresauts de marché, en acceptant un niveau de volatilité parfois proche de 20 % sur une base annuelle.
Les obligations convertibles, les atouts d’un produit double
Pour ceux désireux de profiter d’un éventuel rebond du marché action sans vouloir en supporter la volatilité sous-jacente, reste alors une solution d’investissement intermédiaire en termes de niveau de risque : l’obligation convertible. Il s’agit en effet d’une obligation émise par une entreprise, à laquelle est attachée une option d’achat sur ses propres actions. Ainsi, avec cet instrument financier, il est possible de bénéficier du potentiel de hausse des cours de Bourse tout en conservant les avantages d’une composante obligataire moins volatile, selon le degré de convexité choisi. Du fait de sa double nature, ce produit financier présente donc un rapport très avantageux en termes de couple rendement-risque, par comparaison à d’autres classes d’actifs. Ce n’est donc pas un hasard si les investisseurs semblent actuellement les plébisciter.
Ainsi, au niveau mondial, les émissions d’obligations convertibles représentent près du double de celles enregistrées au cours du premier semestre 2012, à 46,6 milliards de dollars, d’après la plateforme Dealogic. Il faut dire que l’indice mondial UBS sur les obligations convertibles est en progression d’environ 6 % depuis le début de l’année, tout en affichant un niveau de volatilité contenu.
Le piment du très court terme
Quelle que soit la classe d’actifs choisie, il est possible d’en améliorer le rendement via des produits dérivés utilisant l’effet de levier ou bien en choisissant d’investir sur des instruments financiers libellés dans une autre devise que l’euro. Grâce à cette dernière option, la performance d’un portefeuille financier peut être boostée, à condition bien évidemment que la devise choisie s’apprécie face à la monnaie européenne. Ainsi, comme le rappelle Jean-Claude Vandais, fondateur de la société FlexiDAF : “Certaines entreprises cherchent à optimiser le rendement de leurs placements en prenant des positions de change, en général à un horizon à très court terme, pour tenter de tirer profit d’un gain de change ou du différentiel de taux d’intérêt avec l’euro”. Une perspective d’autant plus alléchante que certaines devises de pays émergents sont rémunérées à des niveaux largement supérieurs aux taux d’intérêt de la Banque centrale européenne.
Cependant, Lee Foster Bowman, le PDG du courtier en ligne britannique iDealing, précise “qu’il s’agit toutefois d’un jeu relativement dangereux”, même si certaines multinationales, comme Thomson-CSF, sont parvenues dans les années 1980 à gagner plusieurs milliards de francs, en pariant notamment sur l’évolution à court terme de certaines devises. Pourtant, selon Jean-Claude Vandais de FlexiDAF, “les DAF n’ont généralement pas vocation à accroître les risques déjà fort nombreux de leur entreprise”, ajoutant que “si le DAF est amené à être plus agressif en termes de placements financiers, il va alors chercher à diversifier le risque”.
En définitive : mieux vaut donc se constituer un portefeuille équilibré, constitué à la fois d’instruments financiers peu volatils mais aussi d’actifs risqués dans des proportions adaptées au niveau de risque choisi.
Produits dérivésDes instruments de protection… pour les experts seulement
Pour se protéger contre la baisse de la Bourse, les investisseurs peuvent utiliser différentes sortes de produits dérivés. Bien évidemment, avant d’avoir recours à ces outils financiers, il est plus que recommandé de maîtriser la complexité de leur fonctionnement . C’est d’ailleurs la raison pour laquelle “les produits dérivés sont réservés aux investisseurs avertis” rappelle Lee Foster Bowman, PDG du courtier en ligne britannique iDealing. À l’heure actuelle, plusieurs instruments négociables en Bourse sont proposés par différents émetteurs, faisant l’objet d’une cotation en continu sur la place boursière parisienne.
Le premier d’entre eux, est le “put warrant”, dont le principe est d’offrir une assurance contre la baisse des cours. Concrètement, il s’agit d’un droit de vente à une échéance et à un prix fixé à l’avance (on parle de prix d’exercice), en contrepartie du paiement d’une prime. En pratique, avec ce produit, il est donc possible pour le détenteur d’un portefeuille d’actions de revendre ses titres dans le futur à un prix fixé à l’avance, quel que soit à cette date, le prix de ces actions sur le marché. Si la bourse est orientée à la baisse, l’investisseur sera ainsi immunisé contre le repli des cours. Par contre, en cas de hausse du marché, l’investisseur n’aura sans doute pas d’intérêt à exercer son droit de vente, en particulier si les cours évoluent à un niveau supérieur au prix d’exercice du “put warrant”. Dans ce cas de figure, le prix du “put warrant” perdra alors toute valeur à sa date d’expiration, l’assurance contre la baisse des cours n’ayant tout simplement servi à rien.
Une autre possibilité s’offre aux détenteurs d’un portefeuille boursier : le recours à des certificats “bear”, permettant de “parier” sur la baisse sur le prix d’une action, d’un panier d’actions ou plus largement sur un indice actions. Leur principe est très simple. “Les certificats 100 % bear se valorisent à mesure que les cours se replient” précise Lee Foster Bowman, de manière à répliquer le plus fidèlement possible et sans effet de levier la performance de son actif de référence. L’avantage par rapport aux “put warrants” est de faire abstraction du temps qui passe, puisque ces produits n’ont pas une durée de vie limitée. Toutefois, la réplication de la performance d’un actif sous-jacent n’est pas gratuite, l’émetteur de ces instruments prélevant au passage des frais de gestion.
C’est la raison pour laquelle Lee Foster Bowman “conseille plutôt aux investisseurs d’utiliser des CFD (“Contract For Difference”) qui permettent de prendre position à la baisse et à moindre coût, compte tenu de l’effet de levier de ces produits”. Autrement dit, il est possible avec ces instruments d’être entièrement protégé contre les turbulences des marchés boursiers en n’immobilisant qu’une faible part de la valeur de son portefeuille d’actions ; ce montant correspondant à ce que l’on appelle le dépôt de garantie. De plus, le CFD offre l’avantage de suivre, point par point, les variations du prix de son actif sous-jacent, celui-ci étant identique à sa valeur faciale. De quoi faciliter le suivi d’une opération de couverture pour protéger un portefeuille boursier contre les turbulences du marché.
Par Romain Thomas
Publié le 18/09/2013